Dans les années 2000, les géants de la Silicon Valley ont popularisé la Hustle Culture en réponse aux levées de fonds démesurées qui nécessitaient des résultats eux aussi démesurés.
On peut la définir très simplement.
Hustle Culture ou culture de l'hyperproductivité :
"Mouvement social et professionnel qui encourage une mentalité axée sur le travail acharné en vue d'atteindre le succès."
Il va de soi que cette culture va à l'encontre de la santé mentale individuelle.
Ce terme "santé mentale" a réellement émergé dans les années 1960, cette année étant par décret "l'année mondiale de la santé mentale".
Mais le débat public sur la santé mentale n'explose que dans les années 2017, avec l'avènement (qui précèdera d'ailleurs la chute) de la French Tech et de la Startup Nation.
Aujourd'hui en 2025, on se trouve en France dans un rejet de la Hustle Culture...
N'est-ce pas ?
Explorons rapidement les grandes tendances du développement personnel qu'un grand nombre de personnes utilisent pour sécuriser leur équilibre pro / perso et sortir de la Hustle Culture.
La Semaine de 4 heures
À défaut de définir le succès (ça pourrait nécessiter un texte complet), on peut rapidement définir la productivité telle que plébiscitée par la Hustle Culture :
"La productivité entend mesurer le degré de contribution d'un ou de plusieurs facteurs de production."
Dans le cadre de la Hustle Culture finalement, la productivité, c'est le degré de contribution d'un facteur de production parmi tant d'autres :
Nous !
La semaine de 4 heures et ses différentes variations nous montre comment travailler moins... tout en gagnant plus.
En d'autres termes, d'augmenter notre rendement !
On prend le problème à l'envers, mais l'objectif reste exactement le même : être plus productif.
Optimiser pour le mauvais metric nous fait gagner du temps, mais on reste emmuré dans le paradigme de la Hustle Culture.
Le Complexe d'Atlas
Très simplement, le complexe d'Atlas consiste à valoriser les personnes qui acceptent d'endosser la responsabilité collective.
Mais cela entraîne un réel déséquilibre :
Se prendre pour Atlas vole aux autres l'opportunité de porter les leurs, tout en accumulant énormément de stress sur nos propres épaules.
Dans la société moderne, on valorise le sacrifice plutôt que l'équilibre.
On donne à ce mindset un nom bien choisi :
Reponsabilité Radicale.
- X n'a pas fait correctement cette présentation. Je vais la reprendre à sa place.
- Personne ne veut s'occuper de répondre à ce client relou. Je vais le faire.
- Y m'a mal parlé en réunion. C'est ok, je suis responsable de comment je réagis.
Ce sont des comportements positifs d'une certaine manière.
Mais gardons simplement en tête que ces comportements bien naturels chez nous sont des reliquats de la Hustle Culture et qu'on les adopte pour :
- Avoir une promotion
- Aller plus vite
- Améliorer la qualité d'un livrable
- Etc.
En somme :
Produire plus, avec moins.
Le Mythe de l'Evergreen
L'Evergreen : une verte prairie restera verte pour toujours, sans aucun entretien.
En terme de business, on parle d'offres "Evergreen", c'est-à-dire des offres et des produits qui continueront de se vendre automatiquement, pour toujours.
C'est un MYTHE !
Tout dans le monde tend vers l'entropie (deuxième principe de la thermodynamique).
L'une des pubs avec la plus longue durée de vie, c'était Marlboro Man qui a durée 45 ans, entre 1954 et 1999. Mais elle a fini par perdre en vitesse et pas être coupée (eh oui, le tabac ça tue des gens...).
Et qu'est-ce que la recherche de l'Evergreen, sinon celle de l'ultime rendement ?
Obtenir un résultat, sans investir le moindre effort de production.
C'est encore une fois un reliquat de la Hustle Culture - plus subtil certes, mais qui en fait malgré tout partie, car le metric optimisé reste encore une fois le rendement.
Ok, maintenant qu'on a vu ces trois exemples qui font tous partie de notre quotidien je pense, passons en revue quatre pièges.
Quatre pièges qui sont inhérents à la Hustle Culture, mais qui ne demandent qu'un petit twist pour retourner le game.
Pour chacun, je vais te donner exactement le metric qu'on utilise aujourd'hui (à tort) et par quoi le remplacer.
Time Blocking
L'outil le plus fréquemment utilisée pour la gestion du temps, c'est le Time Blocking. Il s'agit de planifier chaque minute de sa journée, avec le maximum de granularité possible.
Ça laisse peu de temps pour glander, et ça maximise l'utilisation de notre temps, citron pressé jusqu'à la dernière goutte.
Et les choses les plus importantes trouvent elles aussi leur bloc de temps, ce qui garantit l'exécution.
Exemple avec mon Calendar, il y a quelques temps :

Le metric pour lequel on optimise quand on fait du Time Blocking :
Nombre de minutes productives par jour.
Au sens large, certes.
On peut faire des blocs de temps pour la lecture, la famille, le sport...
Mais c'est toujours pour le même metric qu'on optimise.
Pour ma part, cela fait plusieurs mois que j'ai adopté l'approche inverse :
Planifier le strict minimum sur mon calendrier.
C'est une démarche radicalement mesurée et totalement mesurable.
Voici à quoi ressemble mon calendrier cette semaine :

Les avantages :
- Zéro charge mentale
- De la place pour suivre mes envies du moment, donc plus de flow
Est-ce que c'est plus facile quand on est freelance ou entrepreneur ? Oui, évidemment.
Mais quand on est salarié, on peut aussi refuser certaines réunions. Proposer des créneaux différents. Et faire le maximum pour rester au contrôle de son temps.
Review [Quotidienne / Hebdo / Mensuelle / Trimestrielle / Annuelle / Centenaire]
(Tu peux rayer la mention inutile.)
Ici, on cherche à créer un rituel de maintenance pour notre système de... productivité.
Mais alors, attends !
Si je passe 30 min par jour + 1h par semaine + 2h par mois + 4h par trimestre à faire des reviews, ça représente 67h par mois !
Soit 2,79 jours de travail perdus au total (c'est énorme) !
Un bon système, ça nécessite vraiment de la maintenance ?
Et si je dois passer 67h par mois à maintenir mon système, ce système est-il vraiment fait pour moi ?
En réalité et de mon expérience, le coût d'utilisation (encore un terme Hustly) d'un système désaligné est 1000x supérieur à celui d'un système mal maintenu.
Dans quasi 100% des cas, mes systèmes se désalignent AVANT de nécessiter une réelle maintenance.
Et soyons honnête :
Qui fait la maintenance de ses appareils électroménagers ?
Personne.
On répare ce qui est cassé, sans faire de maintenance, non ?
(Une bien mauvaise habitude, certes.)
Un système de Review répond à un metric :
Le score de confiance dans notre système.
On est tellement inquiet que notre to-do list pète, qu'on doit la clean tous les jours pour être sûr de pouvoir se sentir bien avec.
Personnellement, j'ai une idée précise de ce que je dois faire 80% du temps.
Les 20% restants, je prends le tas de tâches qui s'entassent dans ma liste, je récupère celles qui me paraissent critiques et... that's it.
Je te propose de remplacer (ou de complémenter) ton habitude de review par un check-up d'alignement :
- Qu'est-ce qui compte vraiment en ce moment dans ma vie, et mes objectifs sont-ils toujours alignés avec cela ?
- Mes systèmes actuels à fort levier sont-ils alignés avec mes objectifs ?
- Suis-je en danger d'aller à l'encontre de mes anti-objectifs ?
- Qu'est-ce qui me donne de l'énergie en ce moment ?
- Qu'est-ce qui me draine de l'énergie en ce moment ?
- Qui sont les boulets dans ma vie ?
- Qu'est-ce que j'évite par peur ?
(Questions empruntées à Sahil Bloom.)
Les Objectifs (OKRs, SMART, BHAG...)
Tout le monde a son framework d'objectifs favori :
OKRs (Objectives and Key Results)
SMART (Specific, Measurable, Achievable, Relevant, Time-Bound)
BHAG (Big Hairy Ambitious Goals)
Et je n'ai rien contre aucune des approches que je viens de citer.
Mais il est évident que le metric maximisé ici est :
La complétion des objectifs.
Mais soyons honnêtes deux minutes : tout le monde a en tête ses objectifs clés. Si non, ce ne sont pas des objectifs clés !
Je voulais courir un marathon (et je l'ai fait : celui de Lisbonne la semaine dernière). C'était l'un de mes gros objectifs cette année, pour prendre ma revanche sur un marathon échoué l'an dernier.
Il est évident que je n'ai pas "oublié" de m'entraîner ! Et pas besoin d'un post-it pour me rappeler cela.
Quand je dirigeais un support client, moi ou mon équipe n'oubliait pas qu'il fallait vider l'inbox tous les jours... Et si je veux écrire un bouquin, je ne vais pas oublier qu'il faut bosser pour et écrire quotidiennement !
En réalité, ce metric est soit destiné à te discipliner, ce qui signifie que tu cherches à l'atteindre pour de mauvaise raisons...
Soit à te contrôler (Hustle Culture again) dans le cadre d'un job avec un manager.
Mon avis, c'est que nos 3-5 grands objectifs sont omniprésents dans notre esprit - c'est cool de les noter quelque part, mais ce n'est pas très utile.
En revanche, j'aime beaucoup le principe d'inversion dont l'une des applications est de créer des anti-objectifs.
Pour reprendre nos exemples...
- Courir un marathon, ne pas :
- Me blesser par surentraînement ou manque de récupération
- Négliger la nutrition et l'hydratation
- Perdre la régularité d'entraînement (sauter des semaines)
- Arriver sur-fatigué ou sous-entraîné le jour J
- Répondre aux clients, ne pas :
- Laisser les problèmes s'accumuler et devenir des crises
- Donner des réponses bâclées ou génériques
- Perdre la confiance des clients par manque de réactivité
- Créer un goulot d'étranglement qui bloque toute l'équipe
- Pour écrire un livre, ne pas :
- Attendre "l'inspiration" au lieu d'écrire régulièrement
- Viser la perfection dès le premier jet (ne jamais finir)
- Perdre le fil narratif par manque de structure
- Écrire pendant 6 mois puis ne rien faire du manuscrit
Ces exemples me paraissent beaucoup plus actionnables, car ils vont cibler directement des comportements d'auto-sabotage que je suis susceptible d'avoir.
Le Tunnel Hédonique
J'adore l'idée de l'adaptation hédonique, car elle résume vraiment bien la condition humaine.
Pour citer la page Wikipédia de l'adaptation hédonique :
"Selon cette thèse, quand une personne gagne plus d'argent, les attentes et les désirs augmentent conjointement, ce qui n'entraîne aucun gain permanent de bonheur."
Ok, ok.
Mais donc, quel rapport avec la Hustle Culture et la productivité ? C'est une question de vouloir gagner toujours plus ?
Oui... et non.
En psychologie, on parle du concept de "tunnel" :
Quand notre esprit est accaparé par un problème donné, nous devenons aveugles à tout ce qui se trouve en dehors du tunnel. D'où les biais cognitifs majeurs.
(Scarcity est un très bon livre sur ce sujet.)
J'ai observé en quelque sorte ce que j'appelle un tunnel hédonique.
Par désir de vouloir toujours plus, on finit par se retrouver à ignorer totalement des choses pourtant basiques qui se trouvent en dehors de notre obsession : gagner plus, être productif, etc.
Notamment des choses qu'on a obtenues avec difficulté et que l'on tient désormais pour acquis :
- Famille, amis
- Santé
- Bon contrôle sur notre temps
- Etc.
Lorsque l'on rentre dans le tunnel hédonique, ces fondations se dégradent.
Le tunnel hédonique est la raison pour laquelle des personnes équilibrées et qui atteignent un bon niveau de succès GRÂCE à des fondations solides finissent souvent par voir le sol se désagréger sous leurs pieds.
Bon, ici le metric pour lequel on optimise c'est :
L'atteinte de nos désirs.
Quand on est enfant, de l'ennui émergent de nouvelles idées de jeux, des question, de la curiosité.
Mais en tant qu'adulte, on redoute l'ennui et on remplit ce vide avec du doom scrolling, du porno, de la malbouffe et toutes sortes de choses toxiques.
L'ennui est d'ailleurs socialement considéré comme "négatif" tandis que le surmenage est vu comme positif (coucou la Hustle Culture) !
Je suis convaincu que préserver du temps seul avec soi-même est crucial pour penser correctement et mener une vie alignée.
C'est ce que j'appelle des interstices.
Il s'agit de passer du temps seul, ou avec des personnes avec lesquelles on veut nouer une relation profonde. D'être dans la nature. De penser délibérément.
Les interstices nous mettent nez à nez avec l'immensité de notre ignorance et de l'Univers. Ils remettent aussi à zéro nos désirs, nos attentes.
Je pense que c'est d'ailleurs par besoin de reset hédonique que les gens se prennent d'affection pour des activités comme le trek !
Un interstice peut durer 15 minutes, comme plusieurs jours.
Pour en tirer le maximum de bénéfice (le rendre PRODUCTIF et EFFICIENT hinhin) j'aime bien griffoner sur un bloc-notes quelques questions de réflexion et les garder à l'esprit pendant mon interstice.
Voici un échantillon de ces question - je te garantis qu'elles te feront réfléchir.